S. Leresche: L’épopée touristique de Ballaigues 1870-1954

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Titel
L’épopée touristique de Ballaigues 1870-1954.


Autor(en)
Leresche, Simon
Erschienen
Sainte-Croix 2013: Éditions Mon Village
Anzahl Seiten
193 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Mathieu Narindal

Depuis quelques années, l’histoire du tourisme a le vent en poupe en Suisse romande. Sous l’impulsion de Laurent Tissot (Université de Neuchâtel) et de Cédric Humair (Université de Lausanne), nombre de travaux ont été réalisés dans ce domaine, trop longtemps négligé par les chercheurs. L’ouvrage consacré par Simon Leresche au passé touristique de Ballaigues, précisément issu d’un mémoire de master neuchâtelois, s’inscrit dans cette dynamique. Le cas du village vaudois, dont l’auteur est originaire, illustre de manière exemplaire l’épanouissement d’un tourisme estival de moyenne altitude dans l’Arc jurassien à la Belle époque. Cas d’école, Ballaigues est aussi, à certains égards, une exception. De façon pour le moins inhabituelle pour une station touristique, le village est, par exemple, situé au coeur d’une région fortement industrialisée. Une telle particularité rend d’autant plus intéressante l’analyse du processus de touristification ballaiguis.

Situé dans le prolongement du col de Jougne, Ballaigues est dès l’Antiquité un point de passage important pour le trafic des hommes et des marchandises. Cette position stratégique garantit la prospérité de ce qui n’est alors qu’un village-rue. La route fournit un gagne-pain à de nombreux voituriers et stimule la création d’entreprises clés, comme Bourgeois Frères (1790), qui fait le commerce de vin et de fromage, ou les Forges du Creux (seconde moitié du XVIIIe siècle). De premiers hôtels et pensions destinés aux voyageurs voient par ailleurs le jour. Dans les années 1870, l’arrivée du chemin de fer dans la région redéfinit toutefois brusquement la fonction de Ballaigues. Le village voisin, Vallorbe, est relié à Daillens (1870), puis à Lausanne (1871) ; en 1875, une ligne Paris-Pontarlier-Lausanne, via Vallorbe est ouverte, qui rend la route du col de Jougne obsolète. Malgré leurs efforts, les autorités de Ballaigues ne parviennent pas à obtenir que leur village soit desservi par le train. Alors même que le trafic routier diminue, le séjour de vacanciers durant l’été tend cependant à s’intensifier.

Plusieurs facteurs s’avèrent décisifs dans la reconversion progressive de Ballaigues, entre 1870 et 1885. En l’occurrence, les notables locaux, qui ont pu faire fructifier leurs affaires grâce à la route, n’hésitent pas à investir dans le tourisme. Jean Leresche, qui est à la tête des Forges du Creux, construit par exemple une maison-pension, qui lui permet d’accueillir ses clients, de les fidéliser et de s’en faire de nouveaux. Quant au démarrage touristique, il pourrait avoir été facilité par l’existence de liens privilégiés avec l’Angleterre. L’arrivée des premiers vacanciers coïncide avec celle du télégraphe, déterminant pour permettre des séjours de longue durée. En ce qui concerne l’hébergement, si des pensions sont créées, le logement chez l’habitant et la location de maisons et d’appartements priment. De fait, la mue du village ne fait que commencer. Mais l’augmentation rapide du nombre de cafés et d’auberges dans un laps de temps assez court, et le fait que certains voituriers professionnels parviennent à maintenir leur activité, témoignent de la rapidité de la reconversion.

À partir de la fin des années 1880, la dynamique touristique s’accélère. Ballaigues est en vogue. La région répond aux attentes de vacanciers désireux de profiter des bienfaits de la montagne, tout en échappant aux cohortes de touristes présents dans les Alpes. Les forêts de sapins bordant le village, dont l’air résineux est conseillé par les médecins, qui offrent une ombre bienvenue en été et une image romantique, constituent un atout touristique majeur. Contre toute attente, les touristes sont aussi attirés par le patrimoine industriel de la région. À Ballaigues, comme ailleurs, essor touristique et développement des infrastructures communales vont de pair. Une station de pompage d’eau est créée; le téléphone est installé, puis l’électricité, intensifiant la construction d’hôtels et de pensions.

Ce sont les directives cantonales qui, pour limiter la concurrence dans le secteur, freineront le développement de l’offre hôtelière en instaurant une limitation, atteinte en 1899 déjà. La mesure dope alors les possibilités de location dans le village. En 1906, Ballaigues parvient à sa capacité d’accueil maximale, avec 1200 lits.

Dans les années qui suivent, malgré les efforts visant à développer le tourisme hivernal, le mouvement s’essouffle. Due notamment à de mauvaises conditions météorologiques, ainsi qu’à la situation géopolitique tendue, cette baisse touristique se manifeste par une diminution sensible de la capacité d’accueil. À partir de 1908, un projet de tramway entre Ballaigues et Vallorbe, destiné à dynamiser le tourisme, est abandonné par les autorités en 1913. C’est dans ce contexte qu’éclate la Première Guerre mondiale, qui vide les hôtels ballaiguis. Durant le conflit, une épidémie de typhus aggrave la situation, malgré la création d’une entreprise de transport automobile régionale pour enrayer le déclin. C’est grâce à l’arrivée d’internés, dès 1916, que des établissements de séjour résistent à la crise. À la fin du conflit, la reprise est de faible ampleur et la Seconde Guerre mondiale anéantit l’industrie touristique. Dans les années 1950, les derniers touristes quitteront Ballaigues.

En examinant la «parenthèse touristique» de Ballaigues, Simon Leresche décrypte le modèle de tourisme propre à l’Arc jurassien, encore peu étudié. Il montre que les dynamiques observées dans les grandes régions touristiques suisses y sont également à l’oeuvre. À cet égard, il convient de noter que, si les phases du développement du village sont bien mises en évidence, la volonté d’établir une chronologie précise se heurte à la complexité des évolutions, dont les modalités demeurent parfois peu claires. Ainsi la reconversion de Ballaigues, après l’arrivée du chemin de fer, mériterait-elle une analyse plus détaillée. Avec son ouvrage très bien documenté, Simon Leresche n’en offre pas moins une contribution précieuse à l’histoire du tourisme en Suisse romande prouvant la nécessité d’études de cas pour la compréhension du phénomène touristique.

Zitierweise:
Mathieu Narindal: Rezension zu: Simon Leresche, L’épopée touristique de Ballaigues 1870-1954, Sainte-Croix: Mon Village, 2013. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 123, 2015, p. 270-272.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 123, 2015, p. 270-272.

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